monstres

  • Chantal DURAND
du 12 janvier au 16 février 2008

J’aime penser le corps comme un étranger avec lequel on vit. Comme un sac que l’on transporte toujours avec soi sans jamais l’avoir ouvert, sans trop savoir ce qu’il contient. Le corps est humide, il a des fuites que l’on tente de contenir. L’intérieur devient alors une menace. La menace de l’intérieur qui se répandrait. Nous avons idéalisé un corps inexistant alors que le nôtre nous maintient dans la honte. Pour cela, j’aime parfois nous imaginer portant nos organes à l’extérieur de notre corps, telles d’étranges parures.

Je fabrique des sculptures molles qui ressemblent à des organes humains parce que de sac ou de poches. Ces objets placent la matière de l’oeuvre, ce dont elle est faite, comme principal signifiant, ce qui relaie la symbolique de la forme au second plan. La forme devient la limite de la matière. Ces limites bougent parce que la matière subit des transformations. La forme change, elle garde la trace de celui qui la touche ou, réagit à son milieu. Je veux permettre un contact privilégié avec la matière. Cette démarche ramène à l’exhibition de la matérialité du corps mais aussi à l’idée de non permanence, de mouvement inévitable vers la décomposition que j’exprime par des substances choisies pour leurs propriétés évocatrices et sensuelles. Par exemple : le gras parce qu’il est, en Occident, un ennemi que la peau à peine à contenir ou bien le plastique parce qu’il est mou et que la mollesse du corps est une source d’insécurité. En fait, ce sont des matériaux quotidiens, presque banals, mais qui, par l’utilisation que j’en fais, reproduisent les manquements du corps et deviennent des objets de fascinations, d’inquiétudes.

Ces objets se déclinent dans des tons d’un certain beige qu’on nomme couleur peau. Cette teinte résulte de l’échec à reproduire fidèlement la couleur de notre peau dans les produits de consommation. Elle est hideuse, trop rose, trop saturée, trop uniforme. Une couleur générique pour parler d’un corps générique. Elle imite mais ne correspond à rien. Elle peut susciter un sentiment bizarre semblable à celui que nous ressentons face à la facticité des automates ou des androïdes. C’est un étrange modèle qui veut nous faire croire à une uniformité et une perfection qui n’existe pas.

Mon répertoire de formes est issu de dessins anatomiques de la période dite préscientifique. La fonction conventionnelle des dessins d’anatomie est de rendre évidente la structure du corps et des organes : ils montrent les systèmes. Ils ordonnent le corps, le nettoient et nous rassurent en l’éloignant de sa réalité matérielle. Par contre, à une époque où le papier était considérablement dispendieux, les anatomistes utilisaient chaque recoins de la page. En marge, on trouve de petites esquisses, des fragments ou des textures de chair. En me concentrant sur ces détails, je détourne un peu l’utilisation des dessins d’anatomie pour trouver le matériel et l’informe à l’intérieur du corps. Je ne veux pas penser le corps comme un organisme ou un système abstrait; ne pas suggérer une idée de perfection ou de glorification.

Ma recherche est une réponse au corps aseptisé investi par la technologie, au corps mal solutionné par ses prothèses. Elle réaffirme la matérialité, la chair, le mouvement inévitable vers la décomposition. La chute que nous ne réussirons pas à freiner. Mon travail s’adresse avec humour et sensualité aux défaillances du corps, à nos pertes de contrôle sur lui. Il est à l’échelle humaine. Il faut s’en approcher, le sentir, car bien qu’étrange, il réclame une relation d’intimité, d’indiscrétion.

Chantal Durand


Chantal Durand termine présentement sa maîtrise en art à l’Université Concordia. Elle explore avec humour et sensualité la relation d’étrangeté que nous entretenons avec notre propre corps. Son travail a été présenté en mai dernier à la galerie de l’Oeil de Poisson sous le titre de humani corporis umidus et lors d’expositions de groupe à Montréal, Toronto, Moncton ainsi qu’à Gothenburg en Suède.

Site internet de l’artiste