Se faire un nid… Image contact 2009
- Angèle VERRET
Désirer voir plus grand les toutes petites choses…
Peindre le sol de manière à le rendre différemment visible; faire d’un espace investi par la nécessité de s’y mouvoir une expérience qui prend en compte l’étrangeté du réel.
Pour la troisième fois, je réalise une oeuvre faite du sol lui-même1. J’aime l’impression que me procure l’idée d’un travail dont la durée est éphémère comme construire un château de sable et attendre le vent. Cet exercice est d’une certaine façon «facile» car je sais comment procéder pour obtenir des effets inédits; je devine assez bien ce que ce plancher peut révéler de lui-même mais je ne verrai que si j’en fais réellement l’expérience et cette expérience ne pourra être partagée que si elle est visible par d’autres regards que le mien. Parce qu’il s’agit chaque fois de lieux d’exposition différents, je propose à ces lieux de s’exposer eux-mêmes en tant que réalité et en tant que métaphore. Pour un court temps, j’essaye d’en changer la nature et d’apporter une dimension poétique à ce qui n’est au fond qu’un support pour nos pieds.
Depuis déjà quelques années, lorsque je franchis le seuil de la galerie Circa, je suis attirée par ce plancher : par les nombreuses marques laissées par le passage des exposants, par la circulation des visiteurs, et aussi par tout ce qui passe inaperçu comme les dénivellations de surface, la texture du bois, la largeur de l’espacement entre les planches, etc… Qui s’en préoccupe ? Ce sont les angles morts de la perception, les à-côtés, les tout autour; ce qui échappe au regard à moins, par inadvertance, d’y porter attention, de vouloir voir autre chose que ce pour quoi notre regard est convoqué.
L’idée de dévoiler par un processus de recouvrement ce qui se glisse sous nos pas vient d’observations faites dans l’atelier. Autour de mon espace de travail se dépose en couches successives une matière faite des résidus de peinture, des marques laissées par les déplacements et sans y porter vraiment attention cela se développe, existe, comme la poussière dans l’air que nous respirons. Nous longeons les murs des galeries, en faisons le tour, nous marchons autour des installations déposées au sol, nous construisons un espace
mental pour nous habiter, pour :…se faire un nid…
Doute et incertitude font partie de mes préoccupations depuis très longtemps puisqu’ils résument l’ensemble des attitudes et des réfl exions qui fondent ma production. Au coeur de ce doute, se trouve ce que le désir de voir et de faire voir implique de mobilité, de disponibilité et d’inconfort car c’est le manque et la perte, la saisie et les limites des sens, des attentes et des espoirs; bref, des illusions qui s’y montrent.
L’image qui en résulte je la veux interrogative et, comme une errance, un lieu où le corps se sent concerné mais décontenancé. Un territoire, un espace réservé à l’introspection, où se travaille l’habitude de voir; un territoire d’où émerge une réalité visible qui nous échapperait autrement.
La scène d’un crime oblige à considérer le lieu comme porteur d’un mystère et à l’instar de celle-ci le plancher de la petite salle l’est tout autant. Ici nous investissons les lieux d’une aussi mystérieuse façon. Questionner notre manière de vivre nos rapports au réel; ce que nous croyons qu’il est, ce que nous voulons qu’il soit, et ce que nous trouvons indispensable d’y voir.
A. V.
1: Image contact 2000/2001 Centre des arts contemporains du Québec à Montréal, «Brouillage dans la peinture» (2000) Acrylique sur béton, 250 cm. x 161 cm. Oeuvre in situ …au lieu…image contact 2003 Galerie B-312, «…au lieu…» (2003) Acrylique sur béton, 366 cm. x 274 cm. Oeuvre in situ
Née à Montréal en 1942, Angèle Verret enseigne les arts plastiques à l’UQAM de 1969 à 2002. Elle joue des accidents et des aléas du processus de réalisation pour créer des images qui mettent le regard en doute par leur qualité quasi photographique. Parmi ses expositions individuelles, notons : … j’ai voulu tout effacer… à Axenéo7, (2008), Entre-là, à la galerie B-312 (2008), Co-incidence, au centre d’exposition Plein sud de Longueuil (2003), puis, en groupe : Avancer dans le brouillard, (commissaire : Anne-Marie Ninacs) présentée au Musée national des beaux-arts du Québec (2004/2005), Peinture-Peinture, organisée par l’Association des galeries d’art contemporain de Montréal (1998), remporte le prix de la création artistique du CALQ en Montérégie (2007) ainsi que le prix Graff (2001). Ses oeuvres sont conservées dans de nombreuses collections publiques et privées. L’artiste aimerait souligner l’aide précieuse de Nicolas Lachance.