Recycled Sensations

  • Dong-Kyoon Nam
du 29 octobre au 10 décembre 2016

Les arts médiatiques, voire hypermédiatiques, offrent des expériences virtuelles et immersives qui permettent aux individus de s(t)imuler les sensorialités de leur corps. Cet univers a engendré au fil des ans un espace qui modifie notre perception de la réalité et place l’illusion aux confins du réel. Proprement individuelles, ces expériences exacerbées nous obligent à redéfinir la notion de relation. Avec l’espace numérique apparaissent de nouvelles formes de connexions qui génèrent un tissu relationnel virtuel et mettent de l’avant l’apparente « nécessité de l’immédiateté ». Cela dit, ne se font-elles pas au détriment des connexions qui tricotent un tissu relationnel social? C’est à partir de ces constats que Dong-Kyoon Nam questionne la nature ontologique de l’environnement virtuel et numérique.

Face aux innovations numériques et technologiques et à cause de l’obsolescence programmée qui les caractérise, l’individu n’a pas d’autre choix que s’adapter et se réadapter… donc de recycler. Recycled Sensations est une exposition présentant plusieurs sculptures réalisées à partir d’objets domestiques. Dong-Kyoon Nam achète ces objets dans des magasins d’objets d’occasion. Il les choisit parce qu’ils sont constitués d’éléments éphémères : la lumière, le son, la température, etc. Puis, il les déconstruit, c’est-à-dire qu’il reprend chacune des pièces et les agence autrement, mais sans pour autant vouloir reconstruire l’objet initial. Il y a dans ce travail de réunification inusitée une proposition transcendantale qui invite au dépassement et au franchissement et qui défie la logique de l’apparence au profit de la nécessité des connexions, autrement dit de la mise en relation. Procédant de la sorte, l’artiste revitalise les parties d’un tout ; il leur donne une seconde vie. Ainsi, il nous montre que chaque élément a son propre système, bien distinct et complexe et que les relations sinueuses entre eux témoignent du potentiel de transformation. Cette manière de revitaliser les connexions entre les parties d’un objet domestique prend indéniablement la forme d’une métaphore ontologique.

Si le concept de recyclage est fondamental dans l’œuvre de Dong-Kyoon Nam, ce n’est pas uniquement pour ses enjeux environnementaux. En effet, celui-ci est davantage convoqué dans un esprit deleuzien. Chaque objet est déterminé par un rythme interne qui lui permet d’être et de se donner à voir tel qu’il est. Il permet de percevoir un espace-temps singulier. En réutilisant des objets domestiques d’occasion et en revitalisant leur dynamique interne, Dong-Kyoon Nam propose de nous reconnecter à la singularité du rythme inhérent à chaque objet ou à chaque individu et à rétablir les relations entre l’univers, l’homme et la nature.

Cette proposition reflète assez bien les enjeux d’une philosophie taoïste qui prône que toute chose, élément ou individu trouve un équilibre dans le mouvement et la transformation. Sous cet angle, le recyclage, allié du temps, n’est pas uniquement tributaire de la matière. Il permet aux sensations et aux perceptions de s’inscrire dans une dynamique de renouvellement revitalisante.

Émilie Granjon

Article de Jérôme Delgado dans Le Devoir – Proximités Matérielles


Né à Séoul, en Corée du Sud, Dong-Kyoon NAM vit et travaille à Hamilton. Depuis juin 2016, Nam commence une nouvelle vie après une série d’événements fortuits et d’erreurs bureaucratiques concernant son visa de travail, entrainant sa démission involontaire, en novembre 2015, du poste de professeur qu’il occupait à l’Université du Manitoba. Alors que ces événements imprévus mettaient Nam dans une situation précaire, il recevait au même moment sa résidence permanente en février 2016, pour laquelle il avait fait une demande avec sa famille deux ans auparavant. Il peut désormais vivre et travailler au Canada sans restrictions. Deux systèmes bureaucratiques distincts ont influencé indépendamment son être. Nam considère ces événements malencontreux comme un tournant créatif, tout comme les lignes de fuite dans le sens deleuzien du terme. Ces événements ont ouvert de nouveaux procédés d’indétermination et de redétermination, apportant des changements positifs et des transformations à sa recherche créative, à sa pratique et à sa vie sociale, tout en renversant les risques potentiels et la négativité. Dong-Kyoon Nam est détenteur d’un baccalauréat en beaux-arts de l’Université de Windsor (2010) et de l’Université Victoria (2012), où il a reçu son MFA en sculpture. Son travail a été présenté partout au Canada depuis 2013, dont au Truck Art Contemporary à Calgary, à l’Open Space à Victoria, au Centre des arts actuels Skol à Montréal, et au Modern Fuel (Kingston). Il est depuis peu membre du Hamilton Art Council et du Hamilton Artist Inc.

Émilie Granjon est directrice du centre d’artistes autogéré montréalais CIRCA art actuel. Également, chercheuse en sémiologie visuelle et commissaire indépendante, elle est titulaire d’un doctorat en sémiologie (UQAM, 2008). Dans le cadre de sa thèse, elle a orienté ses recherches sur la sémiogenèse de la symbolique alchimique de l’Atalanta fugiens (1617) et a publié Comprendre la symbolique alchimique (PUL : Québec, 2012). Portant un intérêt à l’art actuel, elle a co-écrit avec Fabienne Claire Caland le livre intitulé Les cinq fabricants d’univers : David Altmejd, Shary Boyle, Rosalie Gagné, Laurent Lamarche et Véronique La Perrière (Nota Bene : Montréal, à paraître en 2017). En 2014, elle a commissarié avec Lysette Yoselevitz, sous l’égide d’ARPRIM, l’exposition collective et itinérante L’art imprimé : entre mixité et hybridité au Musée national de l’estampe de Mexico. L’exposition a également été présentée au Centre des arts de Guanajuato et au Musée San Pedro de Puebla. En 2016, elle a monté l’exposition collective Espace imprimé, espace ouvert qui soulignait les 50 ans de l’Atelier Graff à la maison de la culture du Plateau-Mont-Royal de Montréal.