Les propriétés mathématiques d’un beigne

Vernissage samedi le 24 mars 15h
  • Shanie Tomassini
Du 24 mars au 28 avril 2018

Un hominidé vient de tracer sa main sur les parois d’une grotte. Il a de l’ocre sur le dos de sa paume. Il va au ruisseau et nettoie la main qui lui a servi de pochoir avec celle qui lui a servi d’outil. L’eau se trouble un instant au contact des pigments et, tandis que le peintre est satisfait, l’humanité trépigne d’impatience.

Évidemment, il n’y a pas eu un seul humain ni une seule représentation de main pour faire frémir notre ontologie; mais il y a bien quelque part la première main du premier humain qui a laissé volontairement sa trace, pas sur la neige ni la boue ni l’eau, mais sur la pierre qui s’altère plus lentement que cent générations de bipèdes.

Il y a là un point de singularité, une rupture radicale dans la chronologie silencieuse de notre évolution.

Shanie Tomassini aime bousculer l’intégrité de la matière, comme s’il fallait chaque fois éprouver la substance d’une forme pour s’assurer de sa nécessité, de sa cohérence et de sa réalité.  Il y a dans sa pratique un délicat travail de sape qui cherche à ébranler les perceptions, à porter de subtiles atteintes au sens et à la forme des objets.

Les propriétés mathématiques d’un beigne poursuit cette réflexion sur la confusion des sens à travers la déroute de la forme. En empruntant au champ mathématique de la topologie certains concepts, Tomassini aborde l’anatomie de ses sculptures comme une suite de possibilités infinies dans l’espace limité d’une surface donnée. La pierre qui devient un beigne reprend cette idée d’un état profondément malléable à l’intérieur des contraintes d’une même superficie. Tomassini  approche le sens et la morphologie d’un objet à la manière d’un ruban de Mœbius; cette ceinture qui apparaît d’abord comme étant composée de deux plans étrangers se révèle, par une spécieuse inversion, à n’être au fond que la même surface qui tourne en boucle sur elle-même.

Par ce jeu de mutation qui perturbe l’intégrité physique d’une forme, l’artiste amorce une réflexion sur l’évolution d’un objet dans l’espace et le temps, mais aussi sur la portée du geste qui le façonne. Les interventions laissées à même les murs de l’exposition sont autant de clins d’œil à l’art pariétal, premières traces délibérées et pérennes de notre espèce, qu’au dispositif de diffusion qu’est la galerie. Dans les deux cas, le contexte devient le médium où l’on laisse une trace distincte et décisive qui modifie l’environnement et marque la temporalité. L’œuvre Exponential Clay est une boutade à ce geste qui a érigé la longue courbe évolutive des manifestations humaines. Ce diagramme sculpté à tâtons décrit une courbe de croissance exponentielle, composée d’abord d’une montée lente et régulière qui culmine vers une verticalité transformatrice. KNEE of CURVE  accuse cet instant elliptique et imprévisible qu’on ne peut qu’anticiper et qui se situe au « creux de la courbe ». C’est l’évocation d’un moment radical au cœur de la présente exposition, la suggestion d’un point de singularité. C’est la quête d’un seuil de basculement qui modifie radicalement l’appréciation d’un objet, ce moment de prégnance liminale qui augure une ontologie nouvelle.

– Jean-Miguel Zurita

 


 

Biographie de l’artiste

 

Sculpteure montréalaise, Shanie Tomassini vit et travaille à Austin aux États-Unis où elle a entrepris une maîtrise à la University of Texas en 2017. Elle a participé à plusieurs résidences d’artistes, notamment à VSVSVS à Toronto et au centre Bang à Chicoutimi ainsi qu’à des projets indépendants à Cuernavaca et à Cholula au Mexique. Elle a présenté son travail publiquement à plusieurs reprises; Les propriétés mathématiques d’un beigne, présentée à CIRCA est sa quatrième exposition solo. En plus de s’appliquer à une remise en question de l’intégrité physique des choses par une pratique sculpturale, Tomassini s’intéresse aux alternatives qui remettent en question les barèmes établis de l’institution artistique. Elle est l’instigatrice et commissaire du projet d’exposition Expo de casier qui, de 2013 à 2015, a présenté le travail de nombreux artistes émergents sur une base ponctuelle.