Sous le vernis
- Éric Lamontagne présente Réal Lessart
-Galerie II-
Sous le vernis
Sous le vernis est une exposition-installation qu’on pourrait presque qualifier d’exposition-évènement, tant la proposition immersive d’Éric Lamontagne est singulière sur la scène de l’art actuel. Fruit d’un important travail échelonné sur de nombreuses années, l’œuvre met à profit la maestria technique du peintre et un ludisme bien assumé pour faire advenir un lieu particulier. Sorte de trompe-l’œil de grande envergure, les spectateurs sont appelés à y entrer pour y suivre le fil d’un récit dont les ramifications s’étendent même au-delà de l’espace d’exposition.
Par une posture atypique, qui réfère presque davantage à la littérature qu’aux arts visuels et où la narration occupe une place prépondérante, l’artiste conçoit en amont tout un monde dans lequel se placent les différents éléments de Sous le vernis. Quelques clés nous sont offertes dès le départ, par la prise en charge par l’artiste du carton promotionnel de l’exposition, sous la forme d’un dossier « confidentiel » ayant une aura d’espionnage ou d’enquête policière. On y découvre les paramètres importants : d’abord, le protagoniste, Réal Lessart, personnage inspiré du célèbre faussaire québécois. Puis, le décor : un bureau, une bibliothèque ou une étude, inspirée du XIXe siècle, sinon du début du XXe siècle. Finalement, la quête : pour Lessart, réaliser son chef-d’œuvre; pour le public, se lancer sur sa piste, le suivre dans son aventure qui se déroulera au tout long de l’exposition, et peut-être le démasquer…
La proposition est séduisante sur de nombreux plans. L’installation ouvre un espace-temps qui se rapporte, autant dans son esthétique que dans les références que l’artiste convoque, à l’âge d’or d’un roman policier fait de huis-clos et de mystères à résoudre par les indices et par la déduction. Sorte de polar peint, pour reprendre le terme d’Éric Lamontagne, l’œuvre est en effet parsemée de clins d’œil visuels, d’anachronismes et de québécismes qui nous situent entre l’ici et l’ailleurs, le présent et le passé, la réalité et la fiction. Cet effet est magnifié par les images dans l’image : les motifs abstraits, tableaux, miroirs, effaçures et autres trouées qui suggèrent des passages secrets d’un monde à l’autre, des échappatoires ou des cachettes dont on ne sait pas s’ils nous sont destinés ou s’ils sont à l’usage du faussaire. Dans ce double jeu, voir et être vu s’entremêlent, brouillent les pistes.
Mais aussi, l’usage de la peinture à l’huile comme médium principal de l’œuvre possède un attrait évident. Elle restitue à la fois la virtuosité technique de l’artiste, ce qui en soi force l’admiration et le labeur nécessaire à la construction d’un ensemble aussi imposant. Saisis que nous sommes devant la perfection de la représentation, à l’ère de la reproductibilité photographique, notre regard se pose avec plus d’acuité sur chaque détail. La complexité de l’entreprise participe bien sûr à l’émerveillement, mais aussi à l’impression de prendre part à une expérience grandiose et inattendue, capable d’entièrement transformer le réel le temps d’un instant.
Marie-Pier Bocquet
Biographie de l’auteure
Auteure et historienne de l’art, Marie-Pier Bocquet détient une maîtrise en histoire de l’art obtenue à l’Université du Québec à Montréal en 2020. Elle est également directrice générale et artistique d’Arprim, centre d’essai en art imprimé. Depuis 2014, elle fait partie du comité éditorial de la revue de dessin HB. Elle a été commissaire des expositions Perspectives excentrées à Zocalo, centre d’artistes (2021), Faire monde : regard sur les microcosmes de Catherine Magnan et d’Andréanne Gagnon, au centre d’artistes Caravansérail en 2014 et co-commissaire de l’exposition HB nº 6 / HORS PAGE, présentée au Centre d’art et de diffusion Clark en 2017. Ses textes ont été publiés dans la revue esse arts + opinions, Espace art actuel et Vie des arts, ainsi que dans les opuscules de la galerie Art Mûr, Galerie Nicolas Robert, du Centre d’art et de diffusion Clark, et de CIRCA art actuel.
Biographie de l’artiste
Dans son travail, Éric Lamontagne s’intéresse à tout ce qui l’entoure, et tout particulièrement, à la perception, au jeu et à la science. Pour lui, l’art est l’occasion d’apprendre dans l’émerveillement. Il pratique activement l’installation, la peinture, la photographie, la marche ou toutes autres activités qu’il croit pertinentes pour ses envolées créatives.
Il a réalisé plusieurs expositions dont Du haut de mon sous-sol à la Salle Alfred-Pellan qui lui a valu le « Prix de l’exposition de l’année – Centre d’exposition » au Gala des arts visuels et le « Top 3 » des meilleures expositions d’Isa Tousignant du magazine Canadian Art. En 2004, la commissaire Mona Hakim l’a invité à participer au Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul sur le thème du photographique en peinture. Ses œuvres ont notamment été présentées à Alternator Gallery (Kelowna, BC), à Design Festa Gallery (Tokyo, Japon), à Gallery DeOverslag (Eindhoven, Hollande), chez Vu photo (Québec) et au Musée régional de Rimouski. Par le passé, il a également investi les fenêtres de la défunte galerie Joyce Yahouda dans le cadre d’une exposition trompe-l’œil. Plus récemment, la commissaire indépendante Emmanuelle Choquette a publié un article portant sur le long processus ayant mené à la réalisation du projet Sous le vernis (Vie des arts n° 264). On retrouve ses œuvres dans plusieurs collections publiques et privées. L’artiste est représenté par la galerie Art Mûr.
Revue de presse
Crédit vidéo : Samuel Alie
Crédit photo : Jean-Michael Seminaro