Trouver sa place

  • Francine LALONDE
du 22 mai 19 juin 2010

En pénétrant dans la grande salle de Circa, on distinguera trois structures différentes de dimensions relativement grandes et de formes singulières. Pour peu que l’on soit familier avec le travail de Francine Lalonde, on a nettement le sentiment d’être en territoire connu. Sa production continue à articuler des enjeux architecturaux ; les éléments sculpturaux étant moins disséminés dans l’espace que situés près des murs de la galerie, donnant l’impression d’y prendre appui. Pourtant cette nouvelle création marque un éloignement avec l’exploration de l’espace qu’elle a menée jusqu’à maintenant.

À quoi correspond ce nouveau mode d’occupation du lieu? Il est clair que l’artiste ne cherche pas à formuler un commentaire critique sur l’espace d’exposition comme cube blanc coupant l’œuvre du monde extérieur, ce qui ne serait qu’une nouvelle critique du modernisme et du formalisme. Elle a plutôt voulu donner l’impression que les structures entretenaient un rapport plastique fort avec l’environnement. Mais là non plus, il ne faut pas s’y tromper. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un travail in situ, puisque la proposition d’ensemble ne cherche pas à souligner les particularités du lieu investi ou à le transformer physiquement, pas plus qu’il ne s’agit d’une tentative pour renouveler le formalisme, même si l’on reconnaît aisément un plaisir à jouer avec les perceptions sensorielles et physiques immédiates. De quoi s’agit-il alors ? Pour bien saisir les nouveaux enjeux, il faut se montrer sensible à deux éléments primordiaux.

D’abord, l’on doit être attentif à l’ensemble, condition sine qua none pour être à même de saisir l’important rôle confié à la lumière dans la mise en espace. En jouant à combiner la lumière artificielle de la galerie et la lumière naturelle pénétrant par les fenêtres, l’artiste souligne aux yeux des visiteurs les légères modifications perceptuelles occasionnées par ce dispositif d’éclairage. Loin d’être une mise à distance de l’expérience qui nous est donnée de tenter en ce lieu, ce travail cherche à rendre consciente une expérience habituellement passée sous silence. Ensuite, il faut explorer les éléments sculpturaux eux-mêmes. Contrairement à ce qui était visible lors de son dernier passage dans la petite salle de la galerie, les formes ne s’échappent plus du mur, mais elles induisent l’idée qu’elles s’en écartent pour produire des interstices dans lesquels le visiteur est invité à prendre place. Dans un des cas, l’œuvre incite le spectateur à se pencher pour se glisser dessous ou à se faufiler subrepticement derrière elle. Dans une autre pièce de l’exposition, un espace est laissé vacant à l’intérieur de la structure afin que l’on s’y introduise. Enfin, dans le troisième cas, la pièce, qui est pliable et rétractable, prend des allures de cocon, mais aussi de poste d’observation.

Ainsi, la prise en compte du jeu avec les sources d’éclairage jumelées à l’expérience physique des pièces sculpturales oblige le visiteur à se déplacer à travers l’organisation de la salle. Cette mise en mouvement favorise une lecture complexe de l’espace, une sorte de va-et-vient entre l’espace d’accueil et celui ajouté. Cette lecture, qui tend à redonner toute sa place à la subjectivité individuelle, permet aussi de réintroduire dans l’acte de réception le monde des affects par un passage du mouvoir à l’émouvoir, ce qui n’est pas la moindre réussite de cette proposition sculpturale.

Pierre Rannou


Francine Lalonde a étudié les arts visuels à Concordia et à l’UQAM ainsi que la traduction à l’UdM. Son travail a été présenté lors d’expositions individuelles dans divers centres d’artistes et galeries au Canada, dont Articule, La Centrale, Skol et Circa à Montréal, Eyelevelgallery à Halifax et Grunt à Vancouver, ainsi qu’à Hangar, à Barcelone, où elle séjournait en 2004 dans le cadre d’un échange Québec-Catalogne. Elle participe régulièrement à des concours d’intégration de l’art à l’architecture à Montréal et en région. Depuis 2000, elle enseigne au département d’Arts plastiques du Collège Édouard-Montpetit. Elle vit et travaille à Montréal.

Francine Lalonde remercie Alain Bourdeau et Justine Chouinard pour leur soutien technique, Louis Fortier pour ses commentaires toujours judicieux, Peter King et l’atelier Clark, Jacques Ladouceur pour la traduction fidèle des gabarits en structures métalliques, Pierre Rannou pour sa compréhension du travail, Martin Schop pour ses magnifiques encadrements, ainsi que le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts et lettres du Québec pour leur soutien financier.

Pierre Rannou est historien de l’art. Il a été commissaire avec Bernard Lamarche de l’exposition La photographie hantée par la photographie spirite présentée au Musée régional de Rimouski en 2008, dont le catalogue est paru en 2009. Il a publié Incipit. Stratégies autobiographiques dans Rue Ordener, rue Labat de Sarah Kofman (2005) et L’impossible cinéma post-moderne (1995) aux éditions Le temps volé, en plus de participer aux ouvrages L’Atelier en déplacement de Bruno Santerre (Centre Sagamie, 2009) et Sur les traces de Diane Robertson (Paje Éditeur, 1994). Au cours des dernières années, il a collaboré à différentes revues à titre de critique ou essayiste (Esse arts+opinions, Inter art actuel, ETC., Art le Sabord, Frontières). Il enseigne au Collège Édouard-Montpetit.