Une trace ineffaçable n’est pas une trace
- Chloë Charce
-Galerie II-
Une trace ineffaçable n’est pas une trace
Avec son exposition Une trace ineffaçable n’est pas une trace, Chloë Charce vient ajouter une pierre à l’édifice de sa pratique sculpturale, rendant ainsi hommage à l’architecture. Ces recherches de longue haleine prennent racine lors d’une résidence à Buenos Aires (Argentine), en 2018, où l’artiste s’est inspirée des portails du cimetière de Chacarita pour élaborer des répliques réfléchissantes grandeur nature. Le projet a donné lieu à l’exposition présences. mémoires d’architecture (2018), présentée au centre d’artistes AXENÉO7 (Gatineau). Sorties de leur contexte, les portes fantomatiques racontaient l’histoire d’une ville ex situ, insufflant par la même occasion la dichotomie de l’inconnu, donnant aux objets une allure énigmatique. S’en sont suivis plusieurs projets où, inlassablement, Charce reconstruisait métaphoriquement les architectures des villes desquelles elle s’était imprégnée, de façon presque obsessive, pour en sublimer l’apparence, leur offrir une pérennité d’imaginaire ornemental, pourtant inscrit dans la temporalité de l’exposition. Petit à petit, l’aliénation du mouvement a altéré la forme habituelle des bâtis, leur donnant une allure abstraite, conférant l’aura surnaturelle observable dans Dénouer les embâcles (réalisé lors d’une résidence de création à l’Atelier Silex, Trois-Rivières, en 2021-2022), projet formellement le plus proche de l’exposition actuelle.
Avec Une trace ineffaçable n’est pas une trace, l’artiste explore la dimension imaginaire de l’architecture, évoquant ainsi des mondes perdus — fantasmés — comme celui de l’Atlantide. Rappelant l’apparence d’un glacier ou encore celle de l’eau cristallisée, les structures de bois suggèrent une référence aux éléments, mais font aussi un clin d’œil au territoire sur lequel elles ont été réalisées et sont aujourd’hui exposées. Les formes géométriques semblant absconses font en fait référence à une déconstruction d’éléments architecturaux. Charce mêle ainsi la conception de patrimoine bâti avec celle d’imaginaire. Elle joue aussi avec les codes dits du façadisme, qui consistent à ne conserver que la devanture d’un bâtiment, pour donner l’illusion de son apparence ornementale, en perdant son usage premier, purement utilitaire. Avec ce dispositif, l’artiste questionne la pérennité et la mémoire de l’architecture lorsque son esthétique est considérée comme surannée.
Ajoutée à l’installation, la lumière magnifie les formes géométriques et les motifs découpés, les faisant apparaître par fragments, comme une respiration semant le trouble sur le caractère vivant du monument. Une trace ineffaçable n’est pas une trace se veut un parcours lumineux contrôlé, une installation immersive où l’endroit et l’envers du décor se confondent. La frontière du construit est altérée par celle du vivant. « Chloë Charce déjoue le regard et les perceptions, crée des leurres, transforme et détourne subtilement le réel à travers des relations improbables entre les pièces. […] Ces palimpsestes fantomatiques (re)dessinent le paysage de la galerie devenu canevas géant, magnifiant l’espace à travers la transmutation d’éléments inusités. » L’artiste ne dévoile de son œuvre que ce qu’elle entend, au moment où elle en voit l’utilité, offrant ainsi aux yeux du public la trace impermanente de formes tantôt positives, tantôt négatives, jamais complètement tangibles, effacées et réapparaissant à l’infini. Tiré d’un ouvrage de Jacques Derrida , le titre de l’exposition se veut ainsi interrogatoire : une trace ineffaçable est-elle une trace? Et vice versa, une trace peut-elle être effacée, puisqu’elle imprègne la rétine, et la transforme en souvenir? Une trace effacée est mémoire.
– Lucile Godet
Biographie de l’auteure
Lucile Godet vit et travaille entre Gatineau et Ottawa depuis plusieurs années. Originaire de Nantes en France, son implication dans le milieu culturel de Hull a commencé lors de son année d’échange à la maîtrise de muséologie de l’UQO en 2016. Elle est détentrice d’une maîtrise en gestion des arts et de la culture (Paris 1 – Panthéon Sorbonne). De nature curieuse, Lucile est une véritable touche-à-tout. Dans son parcours professionnel, elle a notamment eu l’occasion de travailler dans la conservation et logistique d’œuvres d’art, la valorisation de la francophonie pancanadienne, et sur les principes de gouvernance d’organismes communautaires. Lucile est également rédactrice indépendante et professeure de yoga agrégée. À titre personnel, elle s’engage au quotidien pour l’inclusion, la diversité et l’équité de tous et toutes.
Biographie de l’artiste
Chloë Charce est une artiste en arts visuels qui vit et travaille dans les Laurentides et à Montréal. Sa pratique multidisciplinaire embrasse la sculpture, la photographie, la vidéo et l’installation. Elle est titulaire d’un baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal et d’une maîtrise en studio arts de l’Université Concordia (concentration sculpture). Elle a obtenu plusieurs prix et bourses et participé à différents événements, résidences et expositions, notamment au Canada et en Argentine. En 2022, elle a l’occasion d’exposer en duo à Occurrence avec Véronique Chagnon Côté. En 2021, elle est invitée à un séjour en résidence de création à l’Atelier Silex, à Trois-Rivières.
Elle s’intéresse à différentes problématiques, notamment les notions de disparition, de temporalité et de mémoire. Posant son regard sur les interstices, le hors champ, ses œuvres se présentent souvent comme des fragments métonymiques du réel : des bouts de ciel, des vestiges d’architecture, des paysages utopiques faits d’objets de verre.
L’artiste remercie le Conseil des arts du Canada, l’Atelier Silex, Scan 3D (Richard Lapointe), Lazzit (Jean-Sébastien Delisle), Usimm, ainsi qu’Émilie Allard, Tyna Awad, Ghislain Brodeur, Frédéric Chabot, Véronique Chagnon Côté, Martin Giguère, Caroline Pacchiella et Myriam Simard Parent.
Crédit photo : Jean-Michael Seminaro