Voir et regarder
- Isabelle Fexa
À l’ère de la publicisation de l’intimité dans une société toujours plus envahissante et indiscrète, Isabelle Fexa croise le voir et le regarder dans une relation dialectique bien particulière. En effet, d’une part, l’artiste observe, à travers l’œilleton de son appareil, les comportements intimistes comme une enquêtrice se laissant guider par le hasard, le goût du risque et l’opportunisme incertain. D’autre part, l’artiste déniche, prélève et exhume, des objets jetés aux ordures afin de les répertorier, les inventorier et les classer comme de véritables pièces à confession, permettant ainsi de constituer les archives de l’intime.
Depuis plusieurs années, la singularité du travail artistique d’Isabelle Fexa réside dans son objet d’étude et la manière dont elle l’appréhende dans notre société contemporaine. En appliquant les méthodologies établies par les sciences sociales comme l’observation directe en position d’extériorité, l’artiste se lance à la conquête d’une ethnologie de l’intime. Dès lors, Isabelle Fexa révèle les parts cachées de l’individu, de son identité la plus intègre, en y prélevant des traces vouées à une destruction certaine.
L’exposition Voir et Regarder présente ce processus d’objectivisation de l’intime en transgressant les espaces privés faisant de l’ordinaire, du quotidien et de l’anodin son sujet d’enquête. Des photographies de façades de maisons caractéristiques de quartiers de banlieue entrent en dialogue avec des enveloppes annotées et des papiers griffonnés. L’écriture devient alors un acte de révélation des pensées, des souvenirs, des secrets les plus personnels et cachés. Le tout s’expose dans un espace pouvant évoquer le salon d’un particulier, sinon celui de l’artiste dans une version transposée, invitant le visiteur à devenir voyeur à son tour, observateur de cette intimité.
En tout état de cause, Isabelle Fexa problématise ce phénomène comportemental en y montrant les différentes formes que celui-ci peut prendre dans nos environnements actuels. L’artiste dévoile des relations différentes entre espace privé et espace public, intérieur et extérieur, qu’on cherche généralement à opposer. Elle démontre les liens que ces espaces entretiennent entre eux comme des va-et-vient permanents. En outre, les images exposées, porteuses d’affect, sont chargées intrinsèquement d’un potentiel narratif déconcertant nous invitant à imaginer à partir de ces vestiges.
Ainsi, en rendant public l’intime dans un espace culturel, lsabelle Fexa expose des traces de mémoire personnelle aux conséquences humanistes. Voir et Regarder situe, alors l’intimité à une croisée entre un secret scellé et une vérité livrée; elle repousse les limites de ce qu’on montre et de ce qu’on cache, de ce qu’on offre au regard ou de ce qu’on arrache à la vue.
-Texte de Louise Brunet
Isabelle Fexa détient une maitrise en beaux-arts de l’Université de Montréal. Entre l’acte de l’espionnage et de la collection, l’image fixe et l’image en mouvement, Isabelle s’interroge sur les relations humaines et le désir de développer une certaine sensibilité entre les individus en dehors des cadres d’interactions sociales dominants. Ses oeuvres ont été présentées à la Galerie Les Territoires, à la salle de cinéma J.-A. de Sève de l’Université Concordia, ainsi qu’au Carrefour des Arts et des Sciences de l’Université de Montréal dans le cadre de la Biennale internationale d’art numérique. Voir et regarder est sa première exposition individuelle.
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Titulaire d’une licence de droit privé et d’histoire de l’art à Lyon en France, Louise Brunet poursuit sa deuxième année de maîtrise en muséologie dans un programme conjoint de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université de Montréal. Ses études interrogent les problèmes liées aux impacts, aux enjeux et aux conséquences actuels du développement d’espaces numériques dans l’institution muséale d’un point de vue juridique. Cet objet d’études permet de repenser les fonctions et stratégies muséales classiques. En plus d’être chargée de mission du parcours numérique pour l’Encyclopédie raisonnée, TECHNÈS, de technique et technologie du cinéma, l’auteure a publié en 2016 et 2017 plusieurs articles dans la revue Espace art actuel.