Vous êtes ici

  • Véronique CHAGNON CÔTE
du 30 avril au 04 juin 2016

Chemin faisant dans les peintures de Véronique Chagnon-Côté

Cette nouvelle production de Véronique Chagnon-Côté offre plusieurs repères familiers qui instaurent un premier sentiment d’immédiateté. Vous êtes ici, nous dit le titre, et l’installation se présente comme un jardin depuis lequel des points de vue sont prescrits. Tout se passe cependant pour qu’une agréable déroute s’installe, ouvrant au fur et à mesure de nouvelles perspectives qui font surgir le caractère relatif et perpétuellement ajourné d’un « nous y voilà ».

L’artiste partage de la sorte sa fascination pour la pratique des jardins et le genre du paysage en peinture, deux traditions séculaires dont un des rôles consiste à donner forme à la nature, qui, d’ores et déjà, ne s’entrevoit que par la culture. Les vues ambiguës engagées dans les toiles sont autant d’indices du parcours de la peintre parmi la pléthore de références plastiques, historiques et théoriques rattachées à ces traditions.

Le terrain a été préparé par les productions antérieures dans lesquelles Chagnon-Côté s’est mesurée au paysage en l’imbriquant dans des espaces construits, des composantes architecturales ou du mobilier de jardin. Jouant de textures lisses, légèrement empâtées ou en coulure, elle confrontait la matérialité même de l’image avec des espaces illusoires où se permutaient parfois les vues extérieures et intérieures. Il y a eu aussi des expériences de visu, révélatrices, au Jardin botanique à quelques minutes de chez elle, mais aussi dans les jardins du château de Versailles, notoire pour son vaste programme d’ordonnancement végétal. Elle s’y réfère aujourd’hui au moyen de cartes, qui dénotent avant tout la clarté de leurs motifs, de leur dessin. Les fondements mathématiques d’un tel façonnement de la nature sont aussi importants que dans l’architecture pour laquelle l’artiste cultive un égal intérêt.

Parmi les toiles de cette cuvée, l’une d’elles présente un motif s’apparentant au fameux oculus du Panthéon à Rome, alors que rien dans les autres ne semble référer à un bâti connu. Elles configurent plutôt des topologies improbables qui renvoient tantôt à des cloisons ajourées, tantôt à des chemins vus en plongée. Tout se joue davantage ici sur la planéité du support que l’artiste souligne par sa facture plus lisse et par le rabattement de la composition grandement élaborée par la technique du hard edge. En même temps que les teintes s’additionnent en de multiples couches, des plus foncées aux plus claires, pour afficher des textures mouchetées et granuleuses – quelque chose de compact tel des sédiments cumulés depuis longtemps –, des raies de lumière et des silhouettes fantomatiques apparaissent, octroyant une légèreté surprenante à la densité de l’ensemble.

Un parallèle se forme entre le travail méticuleux de l’artiste et les soins constants du jardinier porté à son œuvre. Les gestes calculés et la palette de couleurs donnent aux acryliques un fini artificiel qui rend la nature distante et figée, confirmant l’hétérotopie que sont les jardins. Suivant cette notion foucaldienne1, que l’artiste évoque dans ses réflexions, l’espace du jardin est soit illusoire, soit compensatoire. En fonction du reste, le jardin serait en effet révélateur d’une illusion plus grande ou bien il compenserait pour ses lacunes. De ce fait, le double phénomène d’artialisation2 de la nature – de la nature en jardin et du jardin en peinture-installation – opérant dans le travail de Véronique Chagnon-Côté invite astucieusement à reconsidérer nos manières d’habiter le monde à une époque où, force est de l’admettre, son avenir inquiète.

Marie-Ève Charron

1 Michel Foucault, « Des espaces autres. Hétérotopies », conférence prononcée en 1967, publiée dans Dis et écrits, tome IV, Paris, Gallimard, 1994 (1984), p. 752-762

2 En reprenant la nation à Montaigne, Alain Roger la développe dans Court traité du paysage, Paris, Gallimard, 1997.


Véronique Chagnon-Côté vit et travaille à Montréal. Après avoir complété un baccalauréat à l’Université du Québec à Montréal en 2009, elle poursuit depuis 2012 une maîtrise en arts visuels à l’Université Concordia. Intéressée à la fois par la matière et par son appropriation de l’espace pictural, son travail incite le regardeur à jeter sur ses œuvres un double regard, à la fois conceptuel et formel. Lauréate pour le Québec du concours 1res Œuvres! organisé par BMO Groupe financier, son travail a été exposé au MOCCA (Toronto, 2009). Ses œuvres ont fait l’objet d’une exposition solo à la Galerie B-312 (2011), au centre Action Art Actuel (2014) et de plusieurs expositions collectives. On les retrouve dans de nombreuses collections publiques et privées. L’année 2016 marquera la réalisation d’une autre exposition solo de l’artiste à la galerie Zalucky Contemporary à Toronto.

Critique d’art au quotidien Le Devoir, Marie-Ève Charron a été commissaire des expositions de groupes Le désordre des choses (avec Thérèse St-Gelais, Galerie de l’UQAM, 2015), Archi-féministes ! (avec Thérèse St-Gelais et Marie-Josée Lafortune, OPTICA, 2012-2013) et Au travail (Musée régional de Rimouski, 2010). Elle compte de nombreuses parutions dans la revue esse arts + opinions et a contribué à des ouvrages portant entres autres sur le travail des Fermières Obsédées, de Michael Merrill et d’Anthony Burnham. Depuis 2004, elle enseigne l’histoire de l’art au Cégep de Saint-Hyacinthe et à l’Université du Québec à Montréal. En 2016-2017, elle sera la commissaire du projet d’envergure Made in Québec de l’artiste Kim Waldron présenté à la Galerie FOFA et au CIRCA art actuel.