Horizons incertains

  • Bertrand R. PITT
  • Collaboration à la programmation : Sébastien RAINVILLE-PITT
du 10 janvier au 07 février 2009

Selon la vision romantique de William Blake : « Tous les paysages sont un homme vu de loin ». Aujourd’hui, tout paysage est soit un désastre, soit une beauté en péril. On le constate depuis quelques années, plusieurs artistes contemporains s’aventurent dans l’axe écologiste de nos horizons humains et le paysage trame souvent leurs propos. La popularité de cet intérêt écologiste envers une nature tiraillée n’accepte pas, par contre, les réplications faciles. La force du discours artistique tient dans l’approche, la sensibilité et la condensation. Tout propos réducteur engendrerait l’indifférence.

Cet enjeu artistique n’est pourtant pas la seule conséquence d’un courant écologiste persévérant. On cherche, par le travail artistique, à donner à comprendre hors d’une vision manichéenne. Parmi ces propositions, l’art interactif semble une voie parfaitement congruente, à l’image même de l’interdépendance des systèmes naturels; actions/réactions.

Toutefois, l’interactivité demeure elle-même incertaine quant à sa place dans le champ artistique, bien qu’elle soit implicitement acceptée. Plusieurs chancellent devant le défi que pose l’interactivité, tant d’un point de vue intellectuel que par son invitation à une participation directe. En outre, l’oeuvre interactive, en déléguant une part de sa réalisation, partage le regard critique (dans le sens de donner à chacun et diviser). En fragmentant la réception dans la multiplicité des interactions possibles, l’interactivité tend à disséminer son propos. À contrario, l’art interactif revendique une autonomie territoriale toute spéciale.

Un double défi : celui de l’artiste et celui de l’interactant. Le dispositif de l’oeuvre interactive campe l’interactant dans un système intelligible, tout en évitant le piège des interprétations prédéterminées. Hors d’une expérimentation concrète de l’oeuvre, cette dernière ne sera traitée qu’avec une certaine condescendance. Voilà pour le principe factuel.

Historiquement, on a tendance à gommer la montée laborieuse de l’art interactif depuis ses origines contemporaines. Durant les années 1970, l’art vidéo était perçu comme un art dérangeant. Le public devait alors s’astreindre à un inhabituel déroulement temporel, considéré littéralement comme une contrefaçon du regard immédiat proposé par le traditionnel tableau, de plus, il fallait subir le bruit d’une diffusion sonore et lumineuse en basse définition. Jugé médiocre, en comparaison d’un art convenu, l’art vidéo (souvent installatif) perturbait le calme magique des musées. L’araignée médiatique déployait néanmoins son filet dans l’enceinte sacrée de l’intemporalité, avec une agressivité passive et quelque peu arrogante. Il y a ici une occasion de penser un lien naturel entre la vidéo et l’art interactif du fait même de la nouvelle relation que proposait l’art vidéo.

En outre, l’environnement médiatique appelait un renouvellement draconien de l’art et de sa réception institutionnelle et publique. Si, intuitivement, Marcel Duchamp a su reconnaître l’importance du lieu comme un centre virtuel d’affluences sémantiques et, corrélativement, comme une force de diffusion à impacts multiples, aujourd’hui l’interactivité poursuit sur une voie similaire, mais sans la brusquerie de l’effet propagandiste des avant-gardes, désormais lointaines. En réalité, les arts vidéo et interactif reprennent énergiquement au temps ce que ce dernier leur avait subtilement soutiré : leurs dimensions tangibles, vécues et expérientielles.

C’est dans un étalement évolutif similaire, et fort important, que je situerais la démarche de Bertrand R. Pitt. Ayant déjà à son actif une production vidéo reconnue et, maintenant, une production interactive conséquente, aussi fine dans son élaboration que ses précédentes oeuvres vidéographiques, Bertrand R. Pitt progresse dans ses recherches médiatiques avec une maîtrise renouvelée de ses objectifs esthétiques et de ses moyens.

L’installation vidéo interactive Horizons incertains nous amène au coeur d’une expérimentation engageant un corps pulsif intérieurement lié à des paysages familiers et à des horizons communs. À la manière romantique, on l’expérimentera peut-être seul, en fusionnant souffle et horizon. À la manière écologiste, on l’expérimentera à plusieurs, lors d’une séance exploratoire interdépendante, doublement interactive.

Dans l’une ou l’autre des figures générées, l’incertitude (Horizons incertains) naîtra d’un affect. Un affect transmuté vers l’horizon, par le poids de nos liens aux environnements actuels. L’itération de l’expérience confirmera la ténacité de cet affect, et ce, sans aucune dissémination du message. Un vibrant condensé socioécologique dont l’impact sensible, en ces jours incertains, n’est pas en reste.

Pierre Robert


Depuis plus d’une dizaine d’années, Bertrand R. Pitt propose des installations vidéographiques et sonores où la sobriété du dispositif se conjugue à l’efficacité des effets déployés. L’exploration de rapports inattendus entre les sons et les images et leur mise en espace sont au coeur de cette pratique qui tend à interroger nos habitudes perceptuelles. Avec Dérive, Tumultes et maintenant Horizons incertains, l’artiste aborde la question des rapports sensibles et cognitifs qui se tissent entre le corps et le paysage. Ses récentes installations forment des environnements audiovisuels quasi immersifs dans lesquels nous sommes invités à vivre une expérience où s’entremêlent contemplation, doute et fascination.

Bertrand R. Pitt vit et travaille à Montréal. Ses oeuvres vidéographiques ont été présentées dans plus d’une quinzaine d’expositions individuelles et divers événements collectifs au Québec, ailleurs au Canada, ainsi qu’en France et en Suisse. Son travail fut soutenu à plusieurs occasions par le Conseil des arts et des lettres du Québec et le Conseil des Arts du Canada. Il a étudié à Montréal et à Bruxelles et détient une maîtrise en arts visuels de l’Université du Québec à Montréal où il a également enseigné à titre de chargé de cours. Il est actuellement professeur au Département d’Arts plastiques du Collège Lionel-Groulx.

L’artiste remercie Sébastien Rainville-Pitt pour sa précieuse collaboration.
Il remercie également pour leur soutien: le Conseil des Arts du Canada, le Centre de production Daïmõn et Vidéographe.

Pierre Robert est le fondateur du périodique électronique Archée , dédié à l’art interactif, à l’art Web ainsi qu’aux nouvelles technologies. À titre de professeur, il enseigne l’histoire de l’art au Collège Lionel-Groulx.

Article de Lyne Crevier, Pulsations, ICI Montréal, Mtl

Site internet de l’artiste